— Qu'est ce que vous avez choisi, Madame ?
Binta leva les yeux sur le serveur. Elle
avait horreur qu'on ne lui laisse pas assez de temps pour décider de ce qu'elle
devait commander. Elle eut envie de lui faire la remarque, mais se retint et
demanda qu'il lui apporte une coupe de Martini blanc déjà avant de passer la
commande pour le plat de sole braisé accompagné de pommes de terre sautées. Il
lui apporta très vite son verre de Martini et elle y plongea les lèvres avec
délectation. La journée avait été rude. Elle avait passé sa journée de travail à
convaincre le conseil administratif et financier de son entreprise du
bien-fondé de la création d'un nouveau produit. La bataille avait été rude et
quand ils avaient finalement donné leur accord, elle n'avait plus la force de
sauter de joie. Elle posa son verre et releva sa lourde chevelure bouclée en
une torsade qu'elle stabilisa tant bien que mal avec une épingle retrouvée
entre deux boucles. Durant cette manipulation, elle croisa le regard d'un homme
assis deux tables plus loin. Il était bel homme et à une époque, elle lui
aurait fait un petit numéro de charme. Cette époque était hélas révolue ! Elle
se méfiait des hommes comme de la peste même si elle n'avait pas connu cette
terrible maladie. Elle détourna les yeux et se concentra sur sa boisson. Quelle
fut sa surprise de voir, en levant les yeux, cet homme en face de sa table !
— Puis-je ? Demanda-t-il en indiquant la
deuxième chaise de la table .
— Je ne sais pas trop.
— S'il vous plait, en me laissant ainsi
vous me mettez dans l'embarras.
Binta haussa un sourcil avant de lui faire
signe de s'asseoir.
— Et bien, que puis-je faire pour vous ?
— Me donner une chance de mieux vous
connaitre ?
Binta partit d'un rire qu'elle contint à
grand-peine. Elle en avait entendu des choses, mais celle-là c'était la première
fois.
— Si j'ai pu vous redonner le sourire, je
me dis que ma démarche n'est peut-être pas vaine
— Peut-être pas en effet. Vous êtes direct
quand même !
— Pourquoi tourner autour du pot quand on
sait ce qu'on veut ?
La commande arriva heureusement et lorsque
le serveur se retira, Binta regarda franchement son séducteur d'un soir.
— Je ne sais pas si je suis ce que vous
voulez, mais je sais que vous n'êtes pas ce que je veux donc je vous remercie
pour cette agréable distraction, mais là je vais passer aux choses sérieuses.
— J’ai commandé la même chose et je pense
que mon assiette ne va pas tarder à arriver sur votre table, j'aimerais vous
tenir compagnie jusqu'à la fin des temps.
— Vous êtes sûr que ça va ?
— Plus que bien et pour cela, je ne peux
que vous en remercier.
Binta était sans voix, il avait réponse à
tout et elle se dit que si elle persistait à se débattre, il n'en serait que
plus ravi. Elle lui adressa donc son plus beau sourire et dit, d'une voix
langoureuse dont elle avait le secret.
— Parlez-moi de vous, cher monsieur, à
commencer par votre nom en attendant que votre plat rejoigne le mien.
Il parut surpris de ce changement de ton
et sembla légèrement déstabilisé. Binta se retint de sourire et le regarda
comme s'il était un diamant extrêmement précieux.
Dans les minutes qui suivirent, elle sut
qu'il s'appelait Hamed, qu'il avait 40 ans, qu'il était directeur financier
d'une société d'import-export très connue pour laquelle elle avait déjà
travaillé, qu'il avait fait ses études en France, qu'il était d'une vieille
famille, qu'il avait des parents dans la politique et l'armée, qu'il vivait
seul avec un boy-cuisinier, qu'ils habitaient le même quartier et enfin qu'il
avait d'autres propriétés disséminées un peu partout dans le monde. Quand son repas
rejoignit le sien, il échangea les assiettes malgré son refus et ils mangèrent
dans une atmosphère plus détendue.
— Après tout ce que vous venez de me dire,
j'ai l'impression qu'on aurait dû se connaitre depuis longtemps.
— On se connait, en fait je vous connais
Binta, mais vous n'avez que rarement levé les yeux sur moi.
— ah bon ?
— Oui, je sais que tous les dimanches vous
faites un jogging de deux heures, vous passez devant ma maison et devant moi
par la même occasion, j'attends quelques minutes et je cours derrière vous,
mais jamais vous n'avez fait attention à moi.
— Je suis désolée
— Ne le soyez pas, le moment n'était pas
venu
— Et maintenant, il l'est ?
— Oui
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